En préparation du Colloque Psychiatrie- Psychanalyse des 26-27 septembre, Jean-Pierre Klotz, psychiatre, psychanalyste à Bordeaux, membre de l’École de la Cause freudienne, de la New Lacanian School et de l’Association Mondiale de psychanalyse, ancien enseignant des Sections cliniques de Bordeaux et de Paris-Saint-Denis répond aux questions de Françoise Haccoun, enseignante de la Section clinique d’Aix-Marseille
La psychiatrie d’aujourd’hui et de demain, quelle place pour la psychanalyse?
La place de la psychanalyse dans la psychiatrie dépend davantage des psychiatres que de la psychiatrie. Elle suppose en effet la prise en compte de subjectivités, lesquelles ne sont abordable qu’à l’aune du un par un. Pour nous, qui nous voulons naviguer en prenant le vent de Lacan, encore et toujours, en souquant ferme, cela ne s’attrape qu’avec la division, soit hors de l’Un, de la prétendue univocité de ce qui se repère. Par ailleurs, le symptôme, qui reste notre mode d’abord, n’a pas la connotation du renvoi à une pathologie à éradiquer, mais celle d’un signe, au moins à interpréter ! Il est sans doute le signe d’un « ça ne va pas », à entendre, à interroger, à positiver quant à comment faire avec lui, non à éliminer, à faire taire au nom d’un quelconque bien préalable.
Il y a donc à réhabiliter le symptôme, la clinique, la subjectivité, ce qui parle et donne à entendre, à l’encontre de la psychiatrie d’aujourd’hui qui semble s’orienter au maximum du contraire. Normaliser, robotiser, unifier, abolir l’anomalie, promouvoir en premier le produit fini et inaltérable, même avec les airs de la bienveillance, du respect de chacun au nom de tous et de la norme universelle, nous ne sommes pas prêts d’y adhérer, du fait même de notre expérience. Comme Lacan nous l’a seriné, nous sommes du même côté, du même bois que les patients !
Il serait temps, il est toujours temps, que la psychanalyse fasse symptôme pour la psychiatrie — et pour bien d’autres pratiques et disciplines dites « psy » — qu’il y ait donc des psychiatres insatisfaits ! Cela se pourrait quand même, après tout ! Car telle est sans doute la modalité la moins inconvenante pour qu’il y ait du heurt en cette matière. Les heurts ne manquent pas dans le monde d’aujourd’hui. Pour qu’ils puissent porter, fructifier, il faut qu’il y ait des psychanalystes, y compris au contact des (ou parmi les) psychiatres. Tâche sûrement infinie — d’autant plus nécessaire !
Quelle place tient la formation au sein des sections cliniques ?
La place de la formation dans les Sections Cliniques revient à donner du grain à moudre aux praticiens que leur subjectivité tourmente, au point d’aller voir du côté de ce que la psychanalyse peut dire aujourd’hui à partir de son champ et qui recoupe les souffrances et difficultés d’aujourd’hui. Et non de celles d’il y a cinquante ans, en croyant immuables les modalités des pratiques d’alors ! Tout bouge, tout change dans le monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire dans les discours contemporains, où les figurations imaginaires se veulent d’autant plus prégnantes que les fascinations produites plaident — mais ce sont des « fake news » ! — pour leur immuabilité. L’un des buts des Sections Cliniques est de fendre les semblants afin que chacun soit mieux à même de faire avec le réel, à partir de ce qu’il en fait à chaque fois, bien sûr, de façon plus ou moins éclairée. Lacan a certes dit, jadis : « il n’y a pas de formation du psychanalyste, il n’y a que des formations de l’inconscient ! » C’est un vrai contre-feu qui débouche sur tout sauf sur une passivité, à moins que celle-ci soit éclairée, choisie, opérationnelle !
À condition de ne pas lâcher l’actualité du discours, la formation au sein des Sections Cliniques a de l’avenir… à condition qu’on fasse en sorte que ça ne stagne pas et que cela s’entende !
La clinique comme boussole, qu’est-ce que cela évoque pour toi?
Une boussole indique une orientation, non un but ! Elle exploite le champ magnétique terrestre, mais on n’oublie que le nord qu’elle indique n’a rien d’une appellation « naturelle » ! C’est un semblant, qui indique un réel, sans l’être. La clinique comme « le réel en tant qu’il est l’impossible à supporter [1] », selon Lacan ne peut se dire comme telle et ne va pas sans dire. S’orienter avec la clinique est donc, si j’ose dire, une orientation utile, voire intéressante !
C’est là précisément ce que la psychiatrie élude, tout en se réclamant d’une modernité factuelle supposée éliminer les aléas de l’interprétation. L’un des usages de la psychanalyse est de ne pas éliminer les aléas, la contingence, et par là de responsabiliser le praticien, non pas pour qu’il tombe juste à tous les coups, mais pour qu’il fasse avec l’aléa qu’il introduit du fait de sa propre incidence, sans croire qu’on puisse se purifier de celle-ci ! Sinon, quoi qu’on fasse, on est sans boussole !
[1] Jacques Lacan, Ouverture de la Section Clinique, « Ornicar ? n°9, Lyse, P.11
Le programme et la liste des intervenants
Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse
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