SC. Colloque 2019. « Psychiatrie en crise et autisme » par Jean-Claude Maleval

Jean-Claude Maleval est psychanalyste, membre de l’ECF et le de l’AMP, professeur émérite de psychologie clinique à l’université de Rennes 2, enseignant à la Section clinique de Rennes. En préparation du Colloque Psychiatrie- Psychanalyse des 26-27 septembre, il répond à l ‘invitation de Dominique Pasco, enseignante à la section clinique d’Aix-Marseille, et nous propose ce texte intitulé « psychiatrie en crise et autisme ».

La psychiatrie française est en crise. La diminution des effectifs, les tâches administratives trop nombreuses, la présence médicale faible, l’insuffisance de formations, la « protocolisation » qui s’accompagne souvent de la perte de sens du soin, la peur, l’inquiétude, la fatigue du personnel, tous ces éléments contribuent à une dégradation de la prise en charge des patients. Le phénomène qui objective celle-ci de la manière la plus frappante est le retour d’un emploi généralisé des chambres d’isolement et des pratiques de contention. L’hôpital psychiatrique d’aujourd’hui n’est assurément pas un lieu accueillant pour un autiste adulte. Une situation fréquemment rencontrée, rapporte la Contrôleuse des lieux de privation de liberté, « est celle des patients porteurs d’une pathologie chronique déficitaire ou des personnes autistes, parfois placées en chambre d’isolement pour des durées qui se comptent en semaines, en mois, voire en années. Elles peuvent également être soumises à différentes mesures de contention (au lit, dans des combinaisons ou autres cottes). Le plus souvent, le personnel soignant, de bonne volonté, est dépourvu de modalités alternatives de prise en charge et très peu soutenu par le corps médical. Il n’est pas rare que dans ce type de services, les médecins ne passent que de façon épisodique sans établir de réels projets de soins adaptés aux particularités cliniques de ces personnes, ni chercher l’aide de ressources développées dans d’autres structures notamment médico-sociales. Les possibilités de recours sont rares pour ces patients particulièrement fragiles [1] » Elle y a encore observé « un autiste de vingt et un ans en isolement quasi total dans sa chambre depuis près d’une année », pour lequel le personnel se dit « épuisé, sans solutions [2] ».

Depuis quelques décennies, la pratique clinique hospitalière s’est grandement appauvrie dans l’art de la rencontre et du dialogue. Il n’est pas nécessaire d’être spécialiste en histoire de la psychiatrie pour faire ces constats. « Certains chefs de service, note encore A. Hazan, ont « interdit » la psychanalyse et la thérapie institutionnelle, or ces approches « placent le soignant dans une relation d’accompagnement et non de contrainte par rapport au patient », de sorte, ajoute-t-elle, que « la corrélation entre l’abandon de ces écoles thérapeutiques et le recours à l’isolement et à la contention mériterait d’être évaluée [3] ».

En psychiatrie infantile, c’est à une autre forme de violence que l’enfant risque d’être confronté, celle de la principale méthode recommandée par la Haute Autorité de Santé, l’ABA[4], qui combine résultats médiocres, méconnaissance de la psychologie de l’autiste, attitude autoritaire du soignant, et alternance de récompenses et de punitions. Certes, ces dernières ne devraient plus être incluses dans l’ABA contemporain, mais elles participent tellement de la logique de la méthode qu’elles tendent sans cesse à s’y réinviter. Maltraitance encore que de retirer à l’enfant autiste son objet autistique, sous prétexte qu’il l’utiliserait pour des pratiques d’auto-stimulations qui nuiraient aux apprentissages. Maltraitance toujours que de s’opposer directement aux rituels protecteurs d’immuabilité, conduisant parfois à de farouches réactions d’opposition, elles-mêmes réprimées sans ménagement (cf. plus haut). La maltraitance majeure, qui ne prend pas en compte le fonctionnement autistique, est celle de ne pas respecter une approche indirecte rassurante. Les « premières explorations, il faut le savoir, souligne une autiste de haut niveau, ne pourront se faire qu’aux conditions qu’il [l’autiste] connaît, les siennes. Ce n’est que lorsque cet éveil, cet intérêt pour l’extérieur seront solidement établis qu’on pourra retirer le filet de protection lentement, morceau par morceau et aller plus loin. [5] »

Faut-il en conclure, comme Édouard Philippe, et Sophie Cluzel, que les autistes n’ont rien à faire à l’hôpital psychiatrique ? Par quel miracle la structure autistique protégerait-elle de troubles psychiques sévères ? Plusieurs études convergentes établissent que le taux de suicide est beaucoup plus élevé parmi les autistes que dans la population générale. On sait par ailleurs que la co-morbidité (épilepsie, anxiété, dépression, etc.) est élevée.

Le traitement du mal-être autistique appelle, non des méthodes contraignantes, qui méconnaissent la subjectivité, mais une approche psychodynamique, opérée par des soignants sachant se faire partenaires de l’autiste, avertis de ses modes de défense contre l’angoisse, et cherchant à s’appuyer sur ses inventions et ses intérêts spécifiques. Les conditions d’exercice actuelles dans les hôpitaux psychiatriques français ne se prêtent guère à de telles rencontres.

 

[1] Hazan A., Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, Dalloz, 2016, p. 18.

[2] Ibid., p. 40

[3] Ibid., p. 86.

[4] Applied Behavior Analysis.

[5] Williams D.  Si on me touche, je n’existe plus, Robert Laffont, Coll. J’ai Lu, 1992,  p. 290.

 

Je m’inscris au colloque

 

 



Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse