SC. Colloque 2019 – Interview – Ricardo Shabelman

Ricardo Schabelman, médecin psychiatre à Paris, psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP est interviewé par Elisabeth Pontier, enseignante à la Section Clinique d’Aix-Marseille.

Comment et pourquoi se former lorsqu’on travaille en psychiatrie ?

Dans son texte intitulé « Acte et institution », Éric Laurent[1] aborde la question de la place du psychanalyste dans l’institution par le biais de l’acte : « le psychanalyste, dit-il, produit un effacement qui va de pair avec la mise en acte de son discours. Moyennant quoi, très souvent, le psychanalyste qui travaille en institution efface tout le contexte institutionnel dans lequel se produisent les effets analytiques, par exemple les effets de transfert institutionnel ». J’ai fait l’expérience d’un changement institutionnel dont parle Éric Laurent, suite à un contrôle. C’est de cette expérience dont je vais témoigner ici.

Paul est admis dans un l’hôpital de jour à l’âge de 15 ans. Un aspect de la prise en charge de ce patient qui rendait l’institution très intolérante à ses agissements était la façon dont il résistait à se plier « au contrat de soin ». Il partait de l’hôpital sans autorisation pour assister aux répétitions de différentes fanfares de Paris. Quand il ne trouvait pas la fanfare, il rentrait chez lui. L’attitude de Paul, avec ses allers et venues, exaspérait l’institution qui par tous les moyens essayait d’obtenir le respect du « cadre de soins ».

C’est dans ce contexte que je rencontre Paul. J’apprends que ses escapades ont un caractère impératif, des hallucinations lui disent de partir : « pars ». Parfois, elles disent le contraire : « reste ». Or, la musique militaire étouffe ses voix. Paul construit finalement un horaire précis qui ne répond évidemment pas aux idéaux de l’institution : les lundis, mercredis et vendredis, il reste à l’hôpital toute la journée, les mardis et les jeudis, il fugue pour participer aux répétitions des orchestres militaires. De plus, une histoire d’amour qui tourne à sa défaveur le submerge dans une angoisse insurmontable. Il s’enferme chez lui et de facto, interrompt la prise en charge. Le séjour de Paul dans l’hôpital de jour est dans une impasse. Embarrassé, je décide d’en parler en contrôle, où est alors cerné ce réel qui donne le fil rouge au comportement de Paul, ses voix qui disent : Paul, tu pars, Paul tu restes. Le « tu pars, tu restes » se saisit comme le pivot autour duquel ce sujet ne cesse de tourner.

Le clinicien autrement orienté propose un dispositif qui, à ma grande surprise, parle à tout ceux qui s’occupent de Paul, nous organisons alors un emploi du temps tout à fait particulier en tenant autrement compte de cette injonction hallucinatoire : « D’accord ! Tu pars – tu restes ». Pour le « Tu pars », nous lui signifions la fin à la prise en charge à l’hôpital de jour. Pour le « Tu restes », nous lui aménageons des rendez-vous précis avec son psychologue, son instituteur, le psychomotricien et avec moi pour le traitement médicamenteux. Pendant ces temps hebdomadaires, bien étoffés, nous continuons à discuter avec lui.

Le passage trouvé dans l’impasse de la cure de Paul permet à l’institution de commencer à s’affranchir du « cadre » dans lequel des cures pouvaient se trouver étouffées.

Parler en contrôle a eu un effet de vérité « pour tous » qui m’a surpris. Le contrôle, au-delà d’un conseil avisé ou d’une meilleure appréhension du cas, a des effets sur la cure et sur l’institution qui échappent à tout calcul a priori de l’analyste. Les effets de son acte produit un bougé dans le discours de l’institution. Le pouvoir mutatif de la « mise en acte du discours psychanalytique » sur le sujet et l’institution ne peut advenir que comme effet de la formation du psychanalyste.

[1] É. Laurent, « Acte et Institution », Lettre Mensuelle, n°211, Septembre 2002. p. 25-29.

 

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