Jean-Pierre Deffieux, psychiatre à Bordeaux, psychanalyste, membre de l ‘Ecole de la Cause freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse, enseignant et coresponsable de la section clinique de Bordeaux, répond aux questions de Françoise Haccoun, enseignante de la section clinique d ‘Aix-Marseille.
- Que vous évoque ce thème du colloque nouage psychiatrie/psychanalyse, en lien avec votre pratique ?
Ma pratique institutionnelle ne pouvait pas s’envisager sans un lien étroit entre psychiatrie et psychanalyse. Quand on a fait une analyse, la pratique que l’on a de de la psychiatrie est forcément orientée par l’expérience que l’on a, de sa cure. C’est pourquoi il serait essentiel que des analystes continuent à exercer la psychiatrie et que des psychiatres s’engagent dans une cure.
Comment faire un diagnostic de psychose sans l’apport de Lacan ? Comment saisir le sens de la dépression et du suicide sans les appuis théoriques de la psychanalyse ? Comment entendre le discours du patient sans avoir fait une cure ?
N’oublions jamais la place que prend l’analyste dans le symptôme analytique lui-même. La psychiatrie a longtemps pris en compte cette dimension pour désormais l’ignorer, la bafouer, voire l’anéantir.
Renier la psychanalyse, c’est vouer la psychiatrie à une médecine comme une autre, c’est vouloir établir un diagnostic « objectif » à partir des moyens « modernes » : codage, chiffrages, statistiques, évaluation. Renier la psychanalyse dans son lien à la psychiatrie, c’est déshumaniser la psychiatrie, c’est la couper de la dimension de la parole et du langage par une pseudo scientificité.
- Aujourd’hui, les symptômes sont considérés comme des troubles à éradiquer, l’observable et le quantifiable, le tout neuro comme on dit, prennent le pas sur la dimension subjective. Que faire selon vous pour préserver nos trésors cliniques ?
La clinique psychiatrique ne survivra pas au refus majeur de la psychanalyse, opéré par ses tenants contemporains.
Pour préserver nos trésors cliniques, si c’est encore possible, il serait d’abord souhaitable que les jeunes psychiatres s’engagent dans une cure analytique pour avoir le désir décidé de continuer à faire vivre ce discours dans nos sociétés. Même si les voies du savoir officiel, universitaire, psychiatrique et autres veulent anéantir cette richesse de notre pensée, il y aura toujours des humains pour s’y référer, pour y croire et s‘engager dans une cure. Un retour à l’avant-Freud n’est pas possible. L’inconscient est « vérité ». C’est pourquoi d’ailleurs beaucoup s’emploient à le détruire. Nous devons donc nous maintenir en résistance.
3. La clinique disait Lacan est « le réel en tant qu’il est l’impossible à supporter ». Un petit commentaire en lien avec votre formation de psychiatre et à l’usage des psychiatres de terrain ?
C’est à partir de l’institution psychiatrique que je répondrai à cette question. Le réel comme impossible à supporter, certes ! Mais faut-il encore consentir à s’y confronter ! C’est pour cela qu’on s’engage dans une analyse (souvent sans le savoir).
La psychanalyse est ce moyen qui permet au psychiatre de compter avec le réel de la clinique, ce qui ne veut pas dire pouvoir le supporter mais croire à l’intérêt majeur de s’orienter du réel dans sa pratique. Sans la psychanalyse, la psychiatrie contemporaine a trouvé à éviter le réel par le calcul, pour le pire. Chiffrer n’est pas parler, c’est tuer la pensée, c’est vouloir contourner le réel par une pseudo solution qui évite de rencontrer l’Autre.
La psychiatrie, si elle veut rester vivante, doit tenir compte de la parole et du transfert.
Le lien, Docteurs, le lien ! Guidez, accompagnez, soutenez, bordez, dites « non » quand le patient se met en danger ou met en danger l’autre, cela ne veut pas dire, bien sûr, ne décider de rien, mais décider avec le consentement du patient, la parole et la patience y sont des aides précieuses ; mais avant tout laissez sa chance au sujet, même si cela prend du temps et demande une grande tolérance. Ne décidez pas pour lui. Le savoir psychiatrique est limité, restez modestes.
Ne sombrez pas dans cette maîtrise de l’autre (accusatif) en voulant ignorer sa singularité et n’écrasez pas le précieux de son imprévisible.
Catégories :Colloque Psychiatrie-Psychanalyse
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