Par Pierre Falicon – À l’ouverture de sa conférence qui réunissait une nombreuse assemblée, le samedi 26 novembre 2016 aux Arcenaulx à Marseille (lire la présentation et l’argument ici), Serge Cottet rappelait qu’oubli, refoulement, résistance, passion de l’ignorance jalonnent le parcours de l’analysant confronté à l’horreur de savoir. L’accent nouveau mis sur l’horreur est à mettre en lien avec la nouvelle donne du discours contemporain et ses offres sans cesse renouvelées de jouissances multiples.
Aujourd’hui le droit d’ignorer est revendiqué au nom d’une supposée égalité de tous et au nom du bonheur, nous dit Lacan dans sa « Note aux Italiens », relue dans sa conférence par Serge Cottet : « de ce que l’humanité se situe du bon heur (c’est où elle baigne : pour elle il n’ y a que bonheur)[1] ».
Ce bon heur repose sur l’ignorance du savoir en jeu qui se dit : « c’est qu’il n’y a pas de rapport sexuel, de rapport j’entends, qui puisse se mettre en écriture[2] ». Croire au bonheur, c’est croire au tout-homme, croire au rapport sexuel et croire à une possible écriture formelle sans reste qui rendrait compte au sens logique du rapport entre l’homme et la femme.
C’est la logique du tout homme. Le « tout-homme », expression prononcée par Serge Cottet dans sa conférence, renvoie à l’universel de la fonction phallique qui ne tient pas compte de l’exception féminine du pas-tout qui y fait obstacle. Cela a comme conséquence l’horreur du savoir propre à la psychanalyse, savoir qui lui, fait droit au réel de l’exception à la loi phallique, -nom de la castration qui est constitutionnel.
Or cette horreur de savoir a un partenaire efficace dans le discours dominant. Celui-ci se drape de la force de l’évidence avec la montée aujourd’hui au zénith de l’objet a et des jouissances multiples qu’elle promeut et met à portée de tout un chacun. La forme actuelle, scientiste, du « bonheur » signe la défaite actuelle de la pensée quand elle est associée aux modes de jouissances permises par les techniques et la science.
L’analyste se situe d’un savoir nouveau dans ce monde contemporain, nous dit Serge Cottet.
Il nous rappelle que cette horreur de savoir est le nom lacanien de la castration qui marque le savoir freudien. En effet, trois temps jalonnent le discours psychanalytique depuis Freud. Le scientisme de ce dernier a tout d’abord permis une vision de l’inconscient non obscurantiste. Il y avait, cependant, un refus du savoir qui a à voir avec le désir et la jouissance. Le deuxième temps est amené par Lacan : la psychanalyse opère à partir de la décomplétude de la science : la psychanalyse fait droit au sujet de l’énonciation que recouvre le discours de la science. Lacan s’élève contre la suture de la science et de la vérité. La suture vise cette opération logique, sans faille, qui élimine le sujet de l’énonciation. La science paraît s’émanciper du cogito pour devenir un discours qui tient tout seul, indépendamment du sujet. C’est bien comme cela que fonctionne l’énoncé scientifique. Il se présente comme une vérité indépendante de l’énonciation. Il y a bien dans le discours de la science un idéal de discours sans sujet. Serge Cottet fait référence à la « docte ignorance » opposée au désir infini de savoir cartésien promu par la science. Cette notion empruntée au philosophe Nicolas de Cues, par Lacan, fait référence à une position de non savoir qui fait droit au reste non symbolisable. Apparaît ensuite le troisième temps – celui d’un retour du savoir au sein de la docte ignorance : il s’agit d’un désir inédit et d’un savoir nouveau à inventer au cas par cas dans la passe. Une nomination nouvelle de ce reste : « Naturellement, ce savoir n’est pas du tout cuit. Car il faut l’inventer[3]. »
Encore un effort pour être lacanien.
Pierre Falicon
[1] Lacan, Jacques, « Note italienne », Autres écrits, Seuil, Paris, 2001, p. 309.
[2] Ibid., p. 310.
[3] Ibid.
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