« Il faudrait plus de formation pour traiter des sujets difficiles »

L’AEMO fait partie du Pôle protection de l’enfance de l’association Sauvegarde 13. Ce service assure le suivi éducatif de plus de 3500 mineurs sur le département. Marie-Evelyne Riehl en assure la coordination. Pour le Blog SC, elle témoigne de la rencontre avec la folie dans le cadre de son activité professionnelle.

Le blog SC. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos fonctions ?

Marie-Evelyne Riehl. Je coordonne l’ensemble du service d’AEMO sur les Bouches-du-Rhône afin de maintenir une entité du service et de préserver une identité de pratique comme les procédures d’intervention. Pour préserver cette unité, j’anime le groupe d’encadrement.

Comment la rencontre avec la folie a-t-elle lieu dans ce champ ?

M.-E. R. C’est une superposition de deux structures qui peut être explosive : celle de l’usager et celle du professionnel. Parfois, ce dernier est confronté à des situations difficiles le renvoyant à son propre vécu. Ces situations complexes peuvent échapper à l’encadrement, qui ne sait pas toujours tout ce qui se passe. Ce dernier évitera en général de faire intervenir un professionnel dans une famille vivant la même chose, comme la perte d’un enfant par exemple. Pourtant, il arrive que des situations dégénèrent vers de l’agressivité verbale, des conflits, suscitant pour les professionnels des difficultés psychologiques. L’employeur peut se retrouver très démuni face à de telles situations.

Un souvenir de rencontre de la folie dans une situation professionnelle ?

Annie Brunette, Esprits tentaculaires (détail), dans le cadre de l'organisation Folie-Culture (Quebec).

Annie Brunette, Esprits tentaculaires (détail), dans le cadre de l’organisation Folie-Culture (Quebec).

M.-E. R. Lors d’une intervention à domicile, j’ai été séquestrée. J’ai réussi à m’enfuir et me suis réfugiée chez les voisins. La police, les pompiers et le GIGN sont intervenus parce que la famille menaçait de faire exploser l’immeuble. C’était vraiment difficile !

J’en ai fait l’analyse, seule. Je rentrais de maternité et la personne venait aussi d’avoir son bébé. On avait eu une grossesse en même temps. Après mon congé maternité, je suis revenue sur le terrain et la situation s’était dégradée. Il y avait eu de la maltraitance sur les enfants. Cette personne n’avait pas compris que je me positionnais en tant que professionnelle qui venait la « recadrer ». Pour elle, j’étais comme sa copine. Il y a eu une identification, ou quelque chose de cet ordre, que je n’avais pas mesuré. Par ailleurs, c’est quelqu’un qui avait des rapports avec le « milieu » marseillais et elle m’a dit: « je vous mets un contrat sur la tête ».

J’ai vécu cette situation sans recul et j’ai géré cela avec une certaine maladresse. Elle a fait une décompensation. Cela s’est terminé chez le juge et cette femme a été internée d’office. Le psychiatre m’a dit : « Madame Rhiel vous vous êtes affolée ! » Quelque temps plus tard, elle a quand même arraché le bout du nez de sa fille ! Je me suis « affolée » mais j’ai géré la situation seule, comme j’ai pu, dans une période où l’institution connaissait elle-même des difficultés liées à des absences longues dans mon binôme et du chef de service.

Je pense qu’une institution a un rôle primordial dans la gestion de ce type de situation, par les moyens qu’elle donne à ses salariés. Ces situations laissent des traces, des choses difficiles à supporter mais cela a été une expérience et m’a permis de construire de nouvelles compétences. Ce type de situations peuvent conduire les professionnels à « décrocher », soit en quittant le service, soit en se recroquevillant sur soi.

On doit essayer d’éviter par nos actions que l’usager décompense et se mette dans des situations comme celles-ci. Ce que l’on mesure moins, c’est tout ce qu’on doit mettre en place pour nos travailleurs sociaux. En les préservant, on préserve les usagers. Avec l’expérience, je me dis que tout peut basculer d’un moment à l’autre, les travailleurs sociaux doivent en être conscients. Les études sont trop généralistes. Il faudrait une année supplémentaire de formation pour traiter des sujets comme ceux-là.

Propos recueillis par Renée Adjiman.



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